Par Myriam Beaudry, Nutritionniste-Diététiste
Le gluten est possiblement un des aliments dont on entend le plus souvent parler que ce soit en bien ou en mal! Pour ma part, j’ai longtemps été perdue face à la mode du « sans gluten ». J’ai fait quelques lectures pointant le gluten comme le coupable de tous nos maux et d’autres lectures en parlaient comme un aliment essentiel à notre santé. Rien pour m’aider à le démystifier! J’ai donc décidé de noter mes questions et de les transmettre à une personne qui s’y connait bien mieux que moi dans le domaine de la nutrition, soit Myriam Beaudry, chroniqueuse et rédactrice d’articles pour démystifier la nutrition, un mythe à la fois. Avant de me lancer dans mes questions, en voici un peu plus sur cette merveilleuse personne…
Quelles sont tes études en cours actuellement ?
Je suis à la 4e année du baccalauréat spécialisé en sciences de la nutrition à l’Université d’Ottawa. J’ai terminé les trois ans et demi de cours et je complète les 1400 heures de stage nécessaires à l’entrée à la pratique. Je suis actuellement stagiaire pour l’Institut de recherches cliniques de Montréal où je travaille sur un projet portant sur l’effet de la supplémentation en oméga-3 sur les facteurs de risque du diabète de type 2.
Pourquoi avoir choisi de faire des études en nutrition ?
C’est le fruit d’un pur coup de foudre professionnel ! Lorsque j’étais en 3e année du secondaire, je devais passer une journée en milieu de travail pour un projet. Ce fut avec une nutritionniste ! Je ne connaissais pas à cette profession, mais après ma journée, je suis tombée en amour avec ce domaine. À partir de ce moment, une flamme s’est allumée et il n’y a eu aucun doute dans mon esprit que c’était ce que je voulais faire de ma vie ! J’ai toujours aimé cuisiner et je suis devenue fascinée par comment les aliments interagissent avec notre corps. Je souhaitais faire une différence dans la vie des gens et puisqu’on mange en moyenne trois fois par jour, je voyais au moins trois opportunités dans une journée pour aider !
En tant que future nutritionniste, quels sont tes buts et objectifs ?
Mes buts sont de démystifier des mythes tenaces en nutrition grâce aux données probantes, faire briller la profession de nutritionniste-diététiste et de dénoncer au quotidien la culture des diètes pour que tous se portent mieux et cessent d’être mêlés avec l’océan d’informations qui circule ! Je laisse cours à mon plaisir pour la vulgarisation scientifique sur mon Instagram, dans des articles rédigés en collaboration et des chroniques à la radio. Évidemment, beaucoup de mon énergie est consacré à la réussite de mes stages pour mon entrée à la pratique, il s’agit de ma priorité actuellement.
Que souhaites-tu faire lorsque tu seras officiellement nutritionniste ?
Lorsque j’aurai ma licence, je serai aussi dans les débuts de ma maîtrise où je poursuivrai mon travail actuel sur les oméga-3 et le diabète de type 2. Je souhaite contribuer à générer des données probantes par la recherche en nutrition, tout en continuant à faire de la vulgarisation scientifique sur les réseaux sociaux. Je caresse aussi l’idée de faire de la consultation à temps partiel, car la relation d’aide demeure une sphère qui me tient beaucoup à cœur. Les possibilités sont nombreuses, mais peu importe ce que je ferai en nutrition, je serai comblée !
Passionnée de nutrition et excellente vulgarisatrice, j’ai décidé que Myriam était la personne idéale pour nous parler du gluten!
Le gluten, ami ou ennemi?
C’est connu, les pratiques agricoles du blé ont connu plusieurs changements au cours des dernières décennies. Ces changements apportés au niveau des pratiques agricoles sont un facteur en cause pour des changements dans la composition du blé.
On retrouve le gluten dans plusieurs types de blé tels que le kamut, le seigle, l’épeautre et l’orge. Outre ces aliments, le gluten se trouve aussi dans plusieurs produits dont nous ne soupçonnerions même pas son existence! Par exemple, nous pouvons en retrouver dans plusieurs produits transformés, dans certaines sauces et épices, dans des cosmétiques, dans certains médicaments et même dans la pâte à dents!
Qu’est-ce que le gluten exactement ?
Le gluten est la fraction protéique du blé (appelé gliadine), du seigle (sécaline), de l’orge (hordéine), de l’avoine (avénine) et du triticale (hybride entre le seigle et le blé). Le gluten, lui, est composé d’un mélange complexe d’une centaine de protéines différentes. Dans le blé, on retrouve majoritairement la gliadine et la gluténine. Ces deux protéines sont responsables entre autres des propriétés visco-élastiques conférant aux produits à base de blé leur texture unique (1). D’ailleurs, petit fait intéressant, le terme latin gluten signifie « gomme » (2) !
Est-il vrai que les transformations subites par le blé rendent le gluten beaucoup plus difficile à digérer ? À long terme, est-ce que la consommation de gluten peut endommager l’intestin ?
En fait, ce ne sont pas les transformations qui peuvent compliquer la digestion du gluten, mais plutôt sa composition en soi et nos dispositions individuelles. Deux choses peuvent être en cause : la structure de la protéine de gluten et la présence d’un type de glucide dans le blé !
Par définition, une protéine est une chaîne d’acides aminés. Parmi les acides aminés qui composent la protéine du gluten, on retrouve en grande quantité deux acides aminés la proline et la glutamine (1). Ces acides aminés sont résistants à la dégradation gastro-intestinale par les enzymes lors de la digestion. Ainsi, le gluten ne sera pas décomposé complètement en ses acides aminés, certains gros peptides persisteront. Pour l’illustrer, imagine un gros assemblage de bloc Lego (le gluten) que l’on veut défaire en morceaux (processus de digestion). Au lieu de défaire la structure complètement, certains blocs de Lego resteront collés ensemble (la proline et la glutamine). Maintenant, est-ce problématique ? Pour le 1% de la population atteinte de la maladie cœliaque, oui, mais pas pour le reste. La maladie cœliaque est une maladie auto-immune où l’ingestion de gluten entraîne une réaction inflammatoire venant endommager les tissus du petit intestin. Une des caractéristiques de la maladie est notamment la perméabilité augmentée des cellules de l’intestin chez les individus atteints. Ainsi, les gros peptides du gluten arrivent à se glisser dans les espaces entre les cellules de l’intestin et c’est ce qui enclenche la réaction immunitaire (3). Autre analogie pour l’illustrer, c’est comme quand on porte un imperméable quand il pleut. Si ton imperméable est bien hermétique (individus non cœliaques), tu seras protégé et il n’y a donc aucun problème à marcher sous la pluie (manger du gluten). Par contre, s’il y a des petits trous dedans ou que le tissu n’est plus aussi imperméable (individus avec la maladie cœliaque), la pluie va pouvoir s’y glisser et te mouiller. Marcher sous la pluie est donc plus problématique dans ce cas-ci. À long terme, les dommages à l’intestin causés par la consommation du gluten chez les individus atteints de la maladie cœliaque les mettent plus à risque de maladies osseuses, de carences nutritionnelles et même de lymphomes intestinaux (1). Chez les individus non cœliaques, les jonctions entre les cellules sont bien serrées, ce qui ne laisse pas passer les peptides du gluten. Il n’y a donc pas de danger pour la santé de l’intestin de ce côté-ci !
Toutefois, en ce qui a trait aux inconforts digestifs occasionnés par certains aliments contenant du gluten, plusieurs études indiquent que le coupable ne serait pas nécessairement celui-ci, mais plutôt les fructanes (4,5,13). Il s’agit d’un type de glucide retrouvé notamment dans les produits à base de blé, de seigle et d’orge, mais aussi certaines légumineuses et certains légumes. Les fructanes font partie de la famille des FODMAP, un groupe de glucides à courtes chaînes étant fermenté rapidement dans le côlon. Cette fermentation rapide peut mener à des gaz et des inconforts intestinaux, tels que les ballonnements et les douleurs abdominales. Ces symptômes sont typiques des gens souffrant du syndrome du côlon irritable ou de la sensibilité au gluten non cœliaque (4, 5). Bref, les produits contenant du gluten, notamment ceux de blés, contiennent d’autres composés étant susceptibles d’engendrer des inconforts au niveau de la digestion. Explorer ces autres pistes avec un professionnel de la santé est fort recommandé avant d’éliminer le gluten.
J’entends souvent que le gluten cause de l’inflammation dans notre corps et ce, pas seulement chez les personnes intolérantes ou cœliaques. Qu’en est-il de ces propos ?
Tel que mentionné précédemment, le blé est un aliment complexe. Des études réalisées in vitro et sur des modèles animaux ont observé que certains composés, tels que l’agglutinine du germe et une petite fraction de la protéine de blé (appelée les inhibiteurs de l’amylase et la trypsine, deux enzymes digestives), pourraient induire une réponse inflammatoire (3,6). Toutefois, très peu d’études de qualité existent pour mesurer cet effet chez l’humain. À ce jour, il est donc impossible de conclure si ces composés causent réellement de l’inflammation chez les individus non cœliaques (6). Par ailleurs, plusieurs types de grains, tels que le blé et l’orge, contiennent des composés phénoliques ayant des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires (7). Ainsi, même si certaines composantes du blé avaient un effet inflammatoire, celui-ci pourrait être contrecarré par la présence des composés anti-inflammatoires (6). C’est donc d’être un peu trop vite sur ses patins de dire que le gluten est une cause de l’inflammation dans le corps pour tous !
Que penses-tu des aliments sans gluten que l’on trouve sur le marché ?
Les aliments sans gluten sont souvent plus pauvres en nutriments, tels que le zinc, le magnésium, le fer, les vitamines du complexe B, la vitamine D, le calcium, l’acide folique et les fibres alimentaires (8,13). En 2015, un groupe de chercheurs a analysé le profil nutritionnel de 3213 aliments et ont conclu que les aliments sans gluten ne confèrent pas d’avantage particulier pour les individus non cœliaques, notamment en raison des niveaux plus bas de plusieurs nutriments importants (9,13). Ceci dit, les aliments sans gluten ne sont pas le Diable non plus et il n’y a absolument rien de mal à vouloir essayer des pâtes de quinoa, de riz brun ou autres variantes sans gluten ! Les plaisirs de cuisiner et d’expérimenter sont toujours de la partie.
D’où vient cette tendance dite « santé » de couper le gluten de notre alimentation ?
Comme bien des modes en nutrition, il est classique de chercher à trouver LE coupable dans notre alimentation pour tous nos maux. Sa popularité a également été moussée par plusieurs vedettes et athlètes en ayant fait la promotion pour la perte de poids, les performances sportives et la santé en général (10). Plusieurs livres sur le sujet ont aussi contribué à l’engouement pour l’alimentation sans gluten, bien que leur manque de rigueur scientifique ait été critiqué par de nombreux professionnels de la santé. Notamment, la mention « sans gluten » (maintenant strictement réglementée aux États-Unis et au Canada) a fait son apparition sur plusieurs produits, ayant attisé la curiosité des consommateurs (10). S’il est écrit « sans X », X doit être mauvais ? Pas nécessairement ! Bref, comme pour bien des tendances alimentaires, un bon bain d’esprit critique s’impose avant de s’embarquer.
Est-il possible que notre alimentation nord-américaine contienne TROP de gluten ?
L’alimentation quotidienne d’un individu contient environ entre 5-20 g de gluten. Pour te donner une idée, une tranche de pain contient environ 4 g de gluten (1). Est-ce que cette quantité est problématique ? Les données actuelles ne semblent pas pointer dans cette direction. Toutefois, il peut être intéressant de considérer la forme sous laquelle ce 5-20 g de gluten est consommé. Si cette quantité provient d’aliments ultra-transformés ou de produits de blé raffinés, l’effet sur la santé sera différent que si elle provenait d’aliments peu transformés ou faits de blé entier.
Quelle est la meilleure manière de consommer le gluten (sous quelle forme) ?
Le seigle, l’avoine, le blé, l’orge et le triticale ont tous un profil nutritionnel propre à chacun et sont riches en fibres, vitamines et minéraux ! Leurs grains peuvent subir plusieurs transformations lors du développement de produits alimentaires et ces dernières peuvent réduire la qualité nutritionnelle de l’aliment (12). Sur une liste d’ingrédients, les termes « farine de blé entier à grains entiers », « seigle entier » ou « orge entier » en tête de la liste indiquent que l’aliment contient majoritairement un grain entier. Cependant, je ne pourrais terminer cet article sans mentionner que les aliments sont plus que des nutriments et des calories. Manger vient aussi avec un contexte sensoriel et émotionnel, le plaisir est non-négligeable. Ainsi, le meilleur aliment est parfois celui qui nous apportera le plus de satisfaction, indépendamment de son profil nutritionnel !
Un immense merci à Myriam d’avoir pris le temps de répondre à mes questions qui m’ont réellement permises de démystifier certains mythes entourant le gluten! Si ce n’est pas déjà fait, je te suggère fortement d’aller la suivre sur Instagram en cliquant juste ici!
Références
(1) Biesiekierski, J. R. (2017). What is gluten? Journal of Gastroenterology and Hepatology, 32 Suppl 1, 78‑81. https://doi.org/10.1111/jgh.13703
(2) El-Chammas, K., & Danner, E. (2011). Gluten-free diet in nonceliac disease. Nutrition in Clinical Practice: Official Publication of the American Society for Parenteral and Enteral Nutrition, 26(3), 294‑299. https://doi.org/10.1177/0884533611405538
(3) Roszkowska, A., Pawlicka, M., Mroczek, A., Bałabuszek, K., & Nieradko-Iwanicka, B. (2019). Non-Celiac Gluten Sensitivity : A Review. Medicina, 55(6). https://doi.org/10.3390/medicina55060222
(4)Makharia, A., Catassi, C., & Makharia, G. K. (2015). The Overlap between Irritable Bowel Syndrome and Non-Celiac Gluten Sensitivity : A Clinical Dilemma. Nutrients, 7(12), 10417‑10426. https://doi.org/10.3390/nu7125541
(5) Biesiekierski, J. R., Peters, S. L., Newnham, E. D., Rosella, O., Muir, J. G., & Gibson, P. R. (2013). No effects of gluten in patients with self-reported non-celiac gluten sensitivity after dietary reduction of fermentable, poorly absorbed, short-chain carbohydrates. Gastroenterology, 145(2), 320-328.
(6) de Punder, K., & Pruimboom, L. (2013). The dietary intake of wheat and other cereal grains and their role in inflammation. Nutrients, 5(3), 771‑787. https://doi.org/10.3390/nu5030771
(7) Lee, Y.-M., Han, S.-I., Song, B. C., & Yeum, K.-J. (2015). Bioactives in Commonly Consumed Cereal Grains : Implications for Oxidative Stress and Inflammation. Journal of Medicinal Food, 18(11), 1179‑1186. https://doi.org/10.1089/jmf.2014.3394
(8) Vici, G., Belli, L., Biondi, M., & Polzonetti, V. (2016). Gluten free diet and nutrient deficiencies : A review. Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland), 35(6), 1236‑1241. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2016.05.002
(9) Wu, J. H. Y., Neal, B., Trevena, H., Crino, M., Stuart-Smith, W., Faulkner-Hogg, K., Yu Louie, J. C., & Dunford, E. (2015). Are gluten-free foods healthier than non-gluten-free foods? An evaluation of supermarket products in Australia. The British Journal of Nutrition, 114(3), 448‑454. https://doi.org/10.1017/S0007114515002056
(10) Jones, A. L. (2017). The Gluten-Free Diet : Fad or Necessity? Diabetes Spectrum : A Publication of the American Diabetes Association, 30(2), 118‑123. https://doi.org/10.2337/ds16-0022
(11) Canada, S. (2010, décembre 1). Position de Santé Canada au sujet des allégations sans gluten [Règlement;politiques]. aem. https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/salubrite-aliments/allergies-alimentaires-intolerances-alimentaires/maladie-coeliaque/position-sante-canada-sujet-allegations-sans-gluten.html
(12) Choosing Whole Grains FAQs—Unlock Food. (2018). https://www.unlockfood.ca/en/Articles/Canada-s-Food-Guide/Choosing-Whole-Grains-FAQs.aspx
(13) Lerner, B. A., Green, P. H. R., & Lebwohl, B. (2019). Going Against the Grains : Gluten-Free Diets in Patients Without Celiac Disease-Worthwhile or Not? Digestive Diseases and Sciences, 64(7), 1740‑1747. https://doi.org/10.1007/s10620-019-05663-x